Sous le soleil de la rue
Un article de Stéphanie Maunay et Aneline Mennella, journalistes
mercredi 24 mai 2006
par Administrateur

 Pour la majorité de Français, l’été rime avec soleil, vacances et farniente. Aux yeux des quelques 90 000 sans domicile fixe (SDF) qui vivent en France, la période estivale est plutôt synonyme de solitude, de maladies, et de carences. Contrairement aux idées reçues, la belle saison engendre plus de morts que l’hiver.

Le 16 avril dernier le Refuge de la Mie de Pain a fermé ses portes. Soient 440 lits et plus de 500 repas en moins par jour jusqu’à la mi-octobre. D’autres associations cessent aussi leurs activités pendant l’été. Fonctionnant sur la base du bénévolat, beaucoup de leurs membres partent en vacances. Or, sur les 5000 places d’hébergement disponibles sur Paris, 75% sont gérés par le milieu associatif. Les 25% restants sont pris en charge par le Centre d’Action Social de la Ville de Paris (CASVP). Selon Benoît Renard, bénévole et administrateur à la Mie de Pain, la fermeture des centres d’hébergement d’urgence est une question qui fait débat. « L’idéal serait de rester ouvert toute l’année. Mais de mon point de vue, l’urgence n’est pas sensée être quelque chose de permanent car cela risque d’entraîner un risque de chronicité » explique-t-il.

Un parcours du combattant

 Livrés à eux-mêmes les 10 000 à 15 000 sans-abri de la capitale doivent faire face à de nombreuses difficultés. La plus pénible à surmonter reste la solitude. « Au cours de cette période, les SDF arrivent bien avant la distribution des repas, relate Yvonne Garcin, bénévole au sein de l’association Août Secours Alimentaire. En proie à un grand découragement ils éprouvent le besoin de nous parler. » Psychologiquement, cette période est mal vécue par les plus démunis. « Quinze jours avant la fermeture des centres, la tension se fait sentir, souligne Benoît Renard. On voit bien qu’ils appréhendent le moment où il faudra partir. » Trouver de quoi manger et boire ressemble alors à un vrai parcours du combattant. « C’est plus facile l’hiver car il y a assez de structures d’hébergement et de distribution de repas. En réalité, les SDF sont vraiment SDF l’été, se souvient Jacques Deroo, ancien sans-abri, aujourd’hui éducateur. » L’été révèle aussi des pathologies spécifiques. Aux nombreux chocs thermiques (différence de température entre le jour et la nuit) qui accentuent la fragilité de tous, s’ajoute la déshydratation. « On rencontre également de nombreux problèmes liés à la sudation. Associée à une mauvaise hygiène, la chaleur provoque des infections et des mycoses, détaille Hélène Thouluc, responsable à Emmaüs Paris. » Ce constat s’explique aussi par le fait que les sans-abri gardent tout ce qu’ils possèdent sur eux de peur de se faire voler. « La rue est un univers ultra violent où la solidarité n’existe pas, confit Jacques Deroo. »

Vers une prise de conscience

 Paradoxalement, la canicule n’a pas été aussi meurtrière que l’on pourrait le penser. Depuis longtemps, les associations mettent en place une politique de prévention sur les risques liés à la chaleur. Mais l’été 2003 a malgré tout réveillé les consciences : « Nous avons mis en place dans chacun de nos centres, une salle rafraîchie avec des ventilateurs ou des climatiseurs. Des bombonnes d’eau sont par ailleurs à la disposition de tous dans nos locaux, ajoute Hélène Thouluc. » Les sites Emmaüs restent donc ouverts toute l’année, comme le CASVP et le 115. Pour ceux qui n’ont pas la chance d’obtenir une place dans ces centres, les bois de Vincennes et de Boulogne sont une échappatoire. Au niveau politique, Christine Vautrin, la ministre déléguée à la cohésion sociale, a fait part mi avril d’une volonté de « pérenniser à l’année les 5000 places d’hébergement d’urgence. » Pour Jacques Deroo, la solution ne réside pas dans l’augmentation du nombre de places. « Ce qu’il faut, c’est un changement des mentalités. Certes les choses évoluent, mais pas forcément dans le bon sens. Une meilleure concertation entre les différents acteurs sociaux est primordiale. »

 Aujourd’hui, une prise de conscience se met en marche peu à peu. Pour autant, il reste encore trop de zones d’ombres sur cette population. Cécile Rocca, coordinatrice au collectif Les Morts de la rue, est catégorique : « Aucun organisme n’est en mesure d’avancer des statistiques concernant les SDF, que ce soit leur nombre ou leur profil. » Difficile donc de répondre concrètement aux attentes des SDF quand les données les concernant restent flous voire inexistantes. « Au final, conclue Jacques Deroo, quelle que soit la saison, les SDF continuent de vivre dans la rue. »

 Stéphanie Maunay et Aneline Mennella